Comment l’agriculture suisse prend soin de nos assiettes

Comment l’agriculture suisse prend soin de nos assiettes

Souvent – et à tort – limitée à la seule question environnementale, la durabilité doit s’imposer à tous les échelons de la filière agro-alimentaire, écologiques, économiques et sociaux. Les familles paysannes suisses s’y sont déjà mises, voici comment.

Il y a cent ans, l’activité agricole occupait un quart de la population suisse. Aujourd’hui, c’est quelque 3%. Mais dans le même temps, ces professionnels de la terre, dont le cœur de métier est la production de denrées alimentaires saines et de qualité, doivent nourrir toujours plus de monde (démographie oblige), répondre a des normes toujours plus exigeantes et s’assurer une viabilité sur un marché impitoyable. Pratiquer l’agriculture aujourd’hui, c’est aussi entretenir les paysages et préserver l’environnement. Tout ceci mis bout-a-bout, l’équation est complexe et la pression énorme. Chaque famille paysanne suisse nourrit en moyenne cent personnes! Et le citoyen consommateur, s’il accorde toujours une grande importance au prix, fait également et de plus en plus ses choix devant les étals en intégrant des critères écologiques et éthiques.

Dans la seconde moitié du XXe siècle, après les deux guerres mondiales, l’agriculture a pris le chemin de l’intensification grâce aux développements technologiques et par crainte des disettes, trop souvent réitérées dans l’Histoire. Parmi les nombreuses évolutions des outils de travail, la recherche phytosanitaire a permis d’énormes progrès. Mais aujourd’hui, on l’aura compris, le paradigme n’est plus le même. Il faut, a juste titre, concilier la protection de l’environnement avec les besoins et attentes du consommateur. Ce défi est au cœur des débats actuels autour de l’élevage et de la question des produits de protection des plantes.

Mais au fait, pourquoi faut-il protéger les plantes?

Céréales, maraichage, arboriculture, viticulture: pour s’épanouir dans les meilleures conditions possibles, une plante doit être soignée. Tout au long de son existence, elle doit se nourrir par le sol, l’eau et la lumière. Si, autour d’elle, la concurrence excessive d’autres végétaux indésirables (appelés aussi adventices) la prive de ces éléments ou les réduisent trop, elle ne pourra pas se développer. Et au final, le produit qu’on en tire sera altéré et le rendement global de la parcelle sera donc moindre. La plante doit aussi faire face à des champignons, bactéries et virus, provoquant maladies et destructions.

C’est pourquoi la prévention est importante. Celle-ci passe d’abord par le choix de variétés résistantes, en fonction des spécificités du sol, du climat local, etc. En outre, le travail de la terre doit se faire en respectant sa structure, sans la brusquer, pour qu’elle conserve sa richesse, indispensable à la plante. Les agricultrices et agriculteurs doivent aussi scruter le ciel: les aléas de la météo jouent un grand rôle, parfois très variable d’une année a l’autre; et on n’est jamais à l’abri d’un phénomène trop violent et parfois fatal. En résumé, les professionnels de la terre sont en permanence au chevet de leurs cultures afin d’anticiper le plus possible les actions à entreprendre pour répondre aux problèmes.

Interventions naturelles et au compte-goutte

S’il faut intervenir sur une plante, les paysannes et paysans suisses essaient le plus possible de privilégier une solution naturelle. Selon le type de culture, différentes possibilités existent: insectes auxiliaires (employés dans la lutte contre les nuisibles), désherbage mécanique ou à la main, etc. De surcroit, on procède souvent aujourd’hui par ≪seuils d’intervention≫, autrement dit on ne traite plus en fonction d’un calendrier rigide mais de l’état de la plante ou de la densité de ravageurs. Certaines de ces interventions peuvent être contraignantes et couteuses; elles sont néanmoins fondamentales car elles permettent de ne recourir aux produits de protection des plantes que lorsqu’il n’y a pas d’autre choix, au compte-goutte et dans un cadre très strict: homologation fédérale, règles d’application contrôlées, bonnes pratiques régulièrement enseignées et adaptées. Les produits peuvent être naturels (et donc autorises aussi en culture biologique) ou de synthèse.

Par ailleurs, agricultrices et agriculteurs, avec également le soutien des organisations professionnelles qui les accompagnent, demeurent très attentifs et ouverts à l’expérimentation de solutions innovantes. Celles-ci peuvent émaner de la recherche, mais aussi des expériences sur le terrain, parfois individuelles. Reste que tout cela prend du temps, au rythme des cycles de la nature. Car lorsqu’on essaie une nouvelle approche culturale et que celle-ci ne s’avère pas concluante, il faut attendre l’année suivante pour en appliquer les leçons dans un nouvel essai; mais ce dernier se fera dans des conditions différentes, du fait de la rotation des cultures (pas la même plante deux années de suite sur la même parcelle), et ainsi de suite.

Gare au gaspillage, pas seulement dans les assiettes

Protéger les plantes, c’est aussi éviter le gaspillage. Que ce soit en limitant les pertes en plein champ ou dans les processus de conservation. Des aliments trop altérés ne se vendent pas; des pommes de terre, fruits ou légumes attaqués ne supportent pas le transport… Sans compter toute l’énergie dépensée pour produire ces denrées.

Fortes de toutes ces pratiques et de ces expériences, les familles paysannes suisses cultivent non seulement la terre, mais aussi la durabilité au quotidien, conscientes de leur responsabilité envers la population suisse et la biodiversité du territoire. Et cette durabilité-là n’a de sens que si elle intègre la viabilité du monde agricole et l’équilibre du marché. Car ces différentes pratiques ont un coût et doivent donc être rémunérées à leur juste valeur via non seulement les paiements directs (subventions), mais aussi – et surtout – les prix à la production. Bref: du producteur au consommateur en passant par l’environnement, chacun doit s’y retrouver!


L’exemple du colza

Le colza est une plante mellifère cultivée en particulier pour la production d’huile alimentaire, dont la demande est croissante en Suisse, notamment comme alternative à l’huile de palme. Durant la période de floraison au printemps, les champs de colza agrémentent le paysage de magnifiques étendues jaunes. Mais pour obtenir des rendements corrects dans la production de cette plante, il faut en particulier lutter contre un insecte coléoptère: le méligèthe. Ce ravageur cause sur les boutons de fleurs des dégâts souvent irréversibles, dont les conséquences à la récolte peuvent être très graves. La lutte se fait le plus possible de manière préventive, mais ce n’est pas forcément suffisant. Chaque printemps, l’arrivée des méligèthes est scrutée par les familles paysannes qui, à partir d’un certain seuil, doivent intervenir avec des produits phytosanitaires pour protéger les cultures… et le futur assaisonnement de nos salades.


Bouillie bordelaise et confusion sexuelle dans la vigne

Pour protéger les vignes des maladies et des nuisibles, deux techniques naturelles se distinguent. Utilisée depuis le XIXe siècle, la bouillie bordelaise (cuivre et chaux) permet de protéger la vigne contre le mildiou, un champignon qui peut détruire les cultures viticoles, mais également s’attaquer aux tomates, pommes de terre ou fraises. La confusion sexuelle, elle, lutte contre des parasites dans la viticulture et l’arboriculture: en saturant l’air de phéromones femelles autour des cultures, on entretient la confusion du mâle qui peine à trouver des femelles pour s’accoupler. La production de larves parasites est ainsi limitée.


Protéger les plantes et les abeilles!

L’agriculture prend de nombreuses mesures pour protéger les abeilles. Plus la biodiversité est importante, plus elles sont heureuses! Dans cet esprit, les familles paysannes sont toujours plus nombreuses à cultiver l’esparcette, une plante fourragère doublement utile: elle permet non seulement d’apporter des compléments nutritifs au bétail, mais aussi, grâce au nectar de ses jolies fleurs roses, de nourrir les abeilles. Par ailleurs, 16% des surfaces agricoles utiles (SAU) suisses sont dédiées par les paysans à la promotion de la biodiversité. Dans ces zones pousse notamment la petite pimprenelle, qui attire les abeilles et d’autres insectes. De manière générale, afin de mieux communiquer entre eux dans le but commun de protection et développement des abeilles, agri- et apiculteurs se sont associés dans le cadre d’un projet dans les cantons de Vaud, du Jura et de Berne, et soutenu par la Confédération. Objectifs: améliorer les ressources alimentaires pour les pollinisateurs ainsi que les lieux de nidification et encourager des pratiques agricoles respectueuses des insectes pollinisateurs.


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