Agrivoltaïsme: bonne idée ou danger pour l’alimentation?

Agrivoltaïsme: bonne idée ou danger pour l’alimentation?

La production d’énergie locale devient un thème de plus en plus discuté. Le rayonnement solaire représente une grande source d’énergie dont nous exploitons qu’une toute petite partie. Avec ses toits et ses grandes surfaces, l’agriculture possède un potentiel énergétique important. C’est pourquoi se développe actuellement une pratique nommée agrivoltaïsme qui consiste à combiner la production d’énergie avec la production alimentaire. Mais quelles sont les opportunités et les dangers d’un tel procédé? Mise au point dans cet article.

Un potentiel encore sous-exploité

Le saviez-vous? Le rayonnement solaire sur la Suisse équivaut au volume d’énergie que nous consommons, multiplié par 200! Actuellement, ce potentiel est encore peu exploité. Fin 2021, la Suisse couvrait son besoin en électricité par le solaire à 5,3 pour cent. Et pourtant, selon des données de Swissolar, l’association des professionnels de l’énergie solaire, les toits et façades compatibles avec la pose de panneaux solaires permettraient de produire jusqu’à 40% de l’électricité dont le pays a besoin chaque année. Et l’agriculture peut devenir un acteur important.

D’après des chiffres d’Agrocleantech, l’agence pour l’énergie et le climat de l’agriculture helvétique, 90% des exploitations agricoles disposent de toits d’une surface conséquente et se trouvent dans une région propice à la production d’énergie grâce au soleil. Toujours selon la même source, le potentiel de production d’électricité à partir de l’énergie solaire au sein de l’agriculture devrait atteindre 1 200 gigawattheures (GWh) par an d’ici 2030, soit l’équivalent de la consommation moyenne de 240 000 ménages.

À l’heure où les discussions sur l’arrêt du nucléaire vont bon train au Parlement, le solaire est régulièrement mis en avant. C’est d’ailleurs pour cette raison qu’il joue un rôle central dans la stratégie énergétique 2050 de la Confédération: parmi les énergies renouvelables, c’est pour le solaire que la croissance la plus importante est prévue. À noter qu’il se complète à la perfection avec l’énergie hydraulique selon les experts. Bien sûr, il ne faut pas oublier le potentiel des autres formes d’énergie renouvelable comme la biomasse qui permet de produire de l’électricité ainsi que de la chaleur en valorisant les engrais de ferme et les déchets alimentaires.

Des haies solaires dans les champs

En plus des toits des hangars, des fermes et des habitations, l’agriculture dispose d’autres surfaces pour produire de l’électricité avec des panneaux solaires: les serres et les champs! Eh oui, la production alimentaire et la production d’énergie peuvent être combinées. On appelle cela l’agrivoltaïsme, l’agri-photovoltaïsme ou encore l’agri-PV. Cette pratique se déploie de plus en plus dans le monde et notamment chez nos voisins français.

En Auvergne, par exemple, des vaches partagent leur pâturage d’un hectare avec 252 panneaux solaires. Ce type de structure peut aussi être combiné avec les grandes cultures, en témoigne le projet mis en place par un collectif de sept agriculteurs, le groupe InVivo ainsi que l’industriel énergétique TotalEnergies. Sur une surface de 4,6 hectares de terres à faible rendement, les agriculteurs peuvent planter des grandes cultures ainsi que du lavandin entre les rangées de panneaux solaires. Les premiers résultats sont encourageants avec une légère hausse des rendements (1 à 8% pour le blé en 2022), probablement due à la protection des cultures contre les grands vents. Cependant, ces résultats sont à prendre avec des pincettes et devront être confirmés sur plusieurs années d’essais. Le défaut principal de cette forme d’agrivoltaïsme est que les panneaux solaires accaparent au minimum de 10% de la surface cultivée.

© TotalEnergies

 

Des panneaux solaires par-dessus les cultures

Des variantes différentes permettent de minimiser la perte de surface et d’avoir d’autres effets positifs sur les cultures. On parle de persiennes, d’ombrières ou de canopées. Le principe est de suspendre des panneaux solaires orientables au-dessus de la parcelle pour d’une part produire de l’électricité et d’autre part protéger la culture contre les intempéries comme la grêle ou les fortes chaleurs. Un exemple se situe à Amance, en Haute-Saône (FR). Une canopée solaire agricole a été construite en juin 2022. Cette ombrière couvre une surface de 3 hectares sous laquelle sont cultivés du blé, du soja, du seigle, de l’orge et du colza. Selon les premiers résultats avec le soja, les rendements ne sont pas significativement impactés et la production se monte à 3,2 GWh par an (640 ménages). De telles structures sont également testées sur des parcelles de vignes et des vergers.

Une dernière forme d’agrivoltaïsme consiste à remplacer le plastique des serres par des panneaux solaires sur le toit des serres. C’est le cas à la Réunion6 000 m2 de serres photovoltaïques ont été construites. Vous l’avez bien compris, l’agrivoltaïsme se développe rapidement en France. Et cela devrait continuer de plus belle, car la politique est en passe d’accepter un projet de loi dite d’accélération des énergies renouvelables qui facilitera la mise en place de tels projets.

Les points négatifs

Même si cette évolution semble prometteuse, de nombreuses voix appellent à la prudence. C’est notamment le cas de la Confédération paysanne, le syndicat de l’agriculture française. Dans une tribune publiée le 2 décembre 2022, l’organisation estime que la pose de panneaux solaires sur les terres agricoles est un mauvais choix. Ils craignent un accaparement des terres agricoles par les sociétés de production d’énergie, au détriment du monde paysan. Ils soulignent également que la mise en place de ces grandes infrastructures n’est pas anodine pour les sols.

Ces chantiers peuvent engendrer du tassement qui, s’il est profond, altère la qualité du sol: l’eau s’infiltre moins bien, la vie du sol est ébranlée et les racines peinent à aller chercher les nutriments essentiels au bon développement des plantes. De plus, comme vous avez pu le lire précédemment, certaines structures diminuent la surface de production. Tout cela peut avoir pour conséquence une diminution de la capacité de production alimentaire.

D’autres effets négatifs sont aussi mis en avant par la Confédération paysanne: «Les panneaux solaires gênent le travail et réorientent les choix de production vers ce qui est compatible avec leur présence, plutôt que vers ce qui est souhaitable agronomiquement». Selon eux, dans le contexte climatique actuel, il serait plus judicieux de soutenir l’agroforesterie, c’est-à-dire l’association des cultures avec des arbres, qui a pour avantage de stocker du carbone dans le sol et de favoriser la biodiversité.

Que dit la politique suisse?

Alors que la France met le pied sur l’accélérateur, la politique helvétique a également fait évoluer le cadre légal tout en prenant des précautions pour que la sécurité alimentaire ne soit pas entamée. Jusqu’à l’été 2022, les structures photovoltaïques étaient exclues de la zone agricole. Depuis, une nouvelle loi fédérale a été adoptée. Celle-ci permet d’installer des infrastructures agrivoltaïques au sein de surfaces agricoles à des fins de recherche ou s’il est avéré qu’elles apportent un avantage pour les cultures. Cependant, les paiements directs sont supprimés pour les terres sur lesquelles se trouvent des panneaux solaires.

Cette avancée prudente au niveau juridique est justifiée. La Confédération craint notamment que la production d’électricité dans les champs alimente la spéculation foncière. Mais des pistes juridiques pour régler cette problématique sont actuellement étudiées. Toutefois, le manque de connaissances sur l’impact de ces infrastructures agri-PV sur la production alimentaire semble une raison légitime pour ne pas mettre la charrue avant les bœufs.

Afin de pouvoir aller de l’avant, divers offices fédéraux soutiennent des projets de recherche, notamment dans le domaine du maraîchage et de l’arboriculture.

«Dans le contexte de l’agri-PV, il est primordial que la production agricole reste la priorité et que ces installations soient une plus-value pour les agriculteurs et la société.»

Bastien Christ, responsable du groupe baies & plantes médicinales chez Agroscope

Ajuster la luminosité pour trouver un optimum

En juillet 2021, la station de recherche agricole fédérale Agroscope a inauguré son premier projet agrivoltaïque sur son site de Conthey, en partenariat avec la Romande Énergie et la start-up suisse Insolight. Des modules solaires translucides innovants s’étendent sur 165 m2 au-dessus des cultures de framboises ainsi que de fraises sous abris pour une production d’environ 0,8-1 GWh par année et par hectare (200 ménages). Cette solution permet aux familles paysannes d’ajuster la luminosité de la structure sur les cultures. Il leur est ainsi possible d’optimiser la photosynthèse des plantes au cours des saisons, tout en transformant le surplus de lumière en électricité.

Cet essai sera mené durant quatre ans. Des collectes de données sur les rendements agricoles et électriques seront effectuées pour analyse afin d’optimiser les performances de l’installation. Les premiers résultats avec les framboises en 2021 sont encourageants. «L’impact sur le rendement était neutre ou légèrement négatif de 10 à 15% en comparaison avec une culture sous tunnel plastique. À noter que nous avons testé avec un ombrage important», explique Bastien Christ, responsable du groupe baies et plantes médicinales pour Agroscope.

© Insolight

 

Valoriser tout le spectre de la lumière

Un autre type d’infrastructure tout aussi innovant est testé depuis 2022 à Conthey. La start-up Voltiris offre une solution qui permet de filtrer spectralement la lumière du soleil: les composantes de la lumière, c’est-à-dire les couleurs, dont les plantes ont besoin pour se développer, sont transmises à ces dernières tandis que les autres couleurs inutiles sont concentrées sur un module photovoltaïque pour produire de l’énergie. Ainsi, tout le spectre lumineux est utilisé.

Les tests sont menés sur des cultures maraîchères particulièrement exigeantes en lumière comme les tomates ou les poivrons. La première année d’essai a montré un résultat intéressant puisque les cultures sous les panneaux nécessitaient environ 15% d’eau en moins. D’autres expérimentations seront effectuées, par exemple, pour évaluer s’il y a une réduction de l’incidence de certains ravageurs, champignons ou certaines maladies afin de mesurer l’effet positif de la solution pour les cultures.

Ces deux solutions innovantes pourraient aider à diminuer l’empreinte carbone des aliments grâce à la production d’énergies renouvelables. Mais est-ce que ces systèmes pourraient être appliqués aux grandes cultures ou aux herbages? «Il existe déjà des systèmes développés pour les grandes cultures et les herbages. Cependant, la synergie entre le photovoltaïque et l’agriculture est souvent plus faible avec ce type de cultures qu’avec des cultures spéciales comme les baies ou l’arboriculture. Le potentiel de développement en Suisse est donc plus limité», explique Bastien Christ.

© Voltiris

Vous voulez en apprendre plus sur l’agriculture et les énergies renouvelables? Ne manquez pas l’émission Agriculture Durable sur cette thématique diffusée le vendredi 3 mars à 19h sur La Télé.

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