L’élevage est-il durable? Souvent critiquée pour les incidences qu’elle aurait sur l’environnement, cette pratique a-t-elle toujours sa place? Pour y répondre, il convient de placer la question dans un cadre plus large: l’agriculture telle que pratiquée aujourd’hui en Suisse. Explications.
De plus en plus critiqué notamment pour son impact environnemental, l’élevage tel qu’il est pratiqué en Suisse est pourtant l’un des piliers d’un système durable. En effet, cette pratique agricole combine non seulement production alimentaire (lait, fromage, viande, œufs), mais aussi fertilisation des cultures, ainsi que préservation des milieux ouverts, de la biodiversité et de l’économie montagnarde. De plus, comme le système de la rotation des cultures est la règle depuis une génération en Suisse, cela veut dire qu’en plus de s’occuper de leur bétail, les éleveurs et éleveuses cultivent aussi le plus possible sur leurs parcelles de quoi nourrir directement leurs animaux. Cette polyculture a le double avantage de préserver la biodiversité et de réduire la dépendance aux importations de fourrage. Voici comment cet ensemble forme un cercle vertueux.
Le cercle vertueux cultures-bétail-fumier-cultures
Le cycle de l’agriculture d’élevage en Suisse peut se résumer ainsi: le bétail mange de l’herbe et/ou des céréales et protéagineux, il produit du lait, de la viande, ainsi que… du fumier et du lisier (engrais de ferme) – qui retournent comme engrais aux herbages et cultures. Le cycle recommence alors et comme chaque élément profite de l’autre, c’est un cercle vertueux.
La Suisse étant un pays d’herbages (grâce aux montagnes et aux précipitations importantes), cela permet de nourrir un important cheptel de ruminants. La fertilisation par les bouses de vaches et les crottes de moutons permet aux pâturages d’être engraissés et productifs, également de stocker de la matière organique et donc de réduire les quantités de CO2 dans l’atmosphère. La rotation des cultures (succession sur une parcelle de terre arable) exige quant à elle une phase d’herbage toutes les trois cultures en moyenne pour éliminer les mauvaises herbes, reposer et/ou enrichir le sol, ce qui fournit beaucoup de fourrage pour les ruminants.
Le fumier et le lisier indigènes représentent le gros des engrais utilisés en Suisse et réduisent d’autant notre dépendance aux importations d’engrais. Le «retour à la terre» du fumier et du lisier est un élément fondamental du cycle des cultures et un garant de la fertilité durable des sols. Les éleveurs peuvent même s’équiper d’un fermenteur, qui permet de générer du biogaz (gaz naturel) à partir du fumier et du lisier. Les restes (le digestat) sont ensuite utilisés normalement comme engrais.
Valoriser les sous-produits: petit-lait et autres
Le cercle vertueux cultures-ruminants-fumier est renforcé par l’important recyclage qui est fait des sous-produits provenant de la transformation de matières alimentaires par l’industrie agroalimentaire. Au lieu de devoir les brûler ou les composter comme des déchets, on en fait des ressources nutritives pour le bétail.
L’exemple le plus parlant est celui du petit-lait qui reste lors de la production de fromage à partir de lait. Le petit-lait (ou lactosérum) a une forte teneur énergétique et protéique, et est riche en minéraux comme le calcium. Une partie part pour l’alimentation et utilisation humaines (Rivella, ricotta, sérac, cures), mais la majorité est donnée aux animaux, en particulier aux porcs.
Sont aussi donnés aux animaux la mélasse résultant de la fabrication de sucre, la pulpe des betteraves, les fibres (protéines et glucides) qui restent après l’extraction d’huile (tournesol, colza, noix), le son du blé et les résidus de pressage (raisin, pommes). La plupart de ces produits ne peuvent pas être consommés par les humains, mais constituent un apport complémentaire pour les animaux sous forme de granulés. Depuis mi-novembre 2021, le Conseil fédéral a également réautorisé l’utilisation des farines animales pour nourrir les poulets et porcs (qui sont omnivores) – pour autant que le principe de non-cannibalisme (on ne nourrit pas un animal avec des restes de la même espèce) soit respecté. Cela permet de valoriser au mieux les sous-produits de la filière de transformation de la viande et de boucler les cycles. Pour l’anecdote, ces sous-produits d’abatage sont par ailleurs utilisés pour fabriquer des aliments pour animaux domestiques (les croquettes par exemple).
Les paysages ouverts, le tourisme et l’agriculture de montagne
Le bétail est également un acteur important de la sauvegarde de la biodiversité particulière et menacée des prairies et des haies. Sa présence sur les prairies fait que celles-ci sont régulièrement tondues et fertilisées, ne s’embroussaillent pas et restent donc des herbages. Prairies, pâturages et alpages forment une part importante des paysages typiques de la Suisse, notamment en montagne. Ce sont également des surfaces indispensables pour les sports de neige puisqu’elles sont skiables en hiver et constituent l’un des piliers du tourisme d’altitude. L’agriculture de montagne, outre l’effet paysager, est centrale dans la vie culturelle, économique et touristique locale, par exemple avec les spécialités fromagères et charcutières et les traditions qui les accompagnent.