Auto-approvisionnement, un peu d’histoire…

Auto-approvisionnement, un peu d’histoire…
Emilie Beuret, Secrétaire générale de la Chambre d'agriculture du Jura-Bernois

Par Emilie Beuret-Boillat

Secrétaire générale de la Chambre d’agriculture du Jura-Bernois

À l’heure où le coronavirus semble montrer ses premiers signes de faiblesse, les habitants de la Suisse montrent des signes d’interpellation face à l’agriculture. Peu de citoyens suisses s’étaient véritablement posé la question, avant tout cela, de savoir avec quoi remplir leur assiette. Il est même parfois arrivé de se demander si on pourrait effectivement la remplir à voir certains rayons de magasins. Dans le confort où la plupart des habitants suisses vivent, cette question n’a effectivement pas sa place, puisque dans la plupart des cas le budget permet au moins de manger.

En 1930, on avait peur d’avoir faim!

La situation actuelle, bien qu’incomparable au niveau de ses conséquences sur nos vies, rappelle néanmoins une situation de guerre. L’approvisionnement de la population y fait quelque peu référence.

Chacun d’entre nous a déjà entendu parler du Plan Wahlen, dont l’objectif était de nourrir l’ensemble de la population suisse si les importations devaient être impossibles. Ce plan reflète qu’en 1930 également, nous avions peur d’avoir faim.

Puis la faim a laissé place à d’autres préoccupations…

Par la suite, l’agriculture a été tellement favorisée par la peur d’avoir faim, qu’elle est tombée dans une production plus intensive, utilisant des produits phytosanitaires fraîchement découverts ainsi que d’autres nouvelles techniques pour protéger sans faille les cultures afin d’assurer des quantités de nourriture suffisantes. Les agriculteurs et les dirigeants du pays se sont aperçus que ces manières de faire ne respectaient pas suffisamment nos sols et notre environnement. C’est pourquoi, entre autres, en 1993, le système de paiements directs actuels a vu le jour. Ces derniers permettaient de réguler la production tout en favorisant les bonnes pratiques agricoles. C’était il y a presque 30 ans et depuis, ce système n’a fait que progresser pour trouver le juste milieu entre production et respect de la nature.

Et aujourd’hui? On n’a plus peur de rien?

Sylvie Brunel, géographe et économiste, a écrit:

«Quand la peur de manquer, qui avait toujours tenaillé l’humanité, disparaît, les citadins oublient quels défis il a fallu relever pour se nourrir en toute sécurité. Tous les acquis passés – semences, traitements, rationalisation, mécanisation, modernisation –, toutes les solutions mises en place hier pour surmonter le drame de la faim sont remis en question.»

Pourquoi les paysans vont sauver le monde

Ce passage interpelle aujourd’hui peut-être encore plus qu’auparavant.

D’un extrême à l’autre!

Après les énormes efforts fournis par les agriculteurs suisses pour le climat, la biodiversité, les sols, les animaux et les techniques culturales ces trois dernières décennies, nous nous trouvons parachutés dans un paradoxe surprenant. Un peu moins de 50% de notre nourriture provient de pays ne respectant absolument pas nos règles de production. Dans les fruits et les légumes par exemple, la moitié de notre approvisionnement provient de pays dans lesquels la qualité de vie des mains d’œuvre et des enfants qui les récoltent ne répondent parfois même pas aux notions de droit de l’homme. En parallèle, nous souhaitons réduire encore la possibilité des agriculteurs suisses à produire grâce à des lois très extrêmes. Paradoxal, triste aussi, et frustrant pour tous ceux qui réalisent des progrès dans le respect de la nature, de l’environnement et des sols. Alors aujourd’hui, il est nécessaire de se demander si la nourriture de qualité que nous produisons en Suisse ne devrait pas retrouver une place égale à côté de la biodiversité et envisager plutôt un avenir commun entre ces deux thèmes en évitant de tomber dans l’extrême de l’un ou de l’autre.

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