Par Michel Darbellay
Directeur d’AgriJura,
Chambre jurassienne d’agriculture
L’agriculture est en perpétuelle mutation. Préserver les ressources tout en produisant, tel est l’objectif recherché par les familles paysannes suisses. Initié par la profession, le projet jurassien SolAirEau a encouragé différentes mesures pour les faire adopter durablement.
Engagés pour ménager les ressources
Toute activité humaine impacte l’environnement. Le but consiste à pouvoir vivre et produire sans hypothéquer nos ressources, tout en répondant aux attentes de la population pour une alimentation durable et de proximité. L’exercice n’est pas toujours évident mais le tournant écologique pris par l’agriculture suisse avec l’introduction de la production intégrée, il y a plus de 20 ans, se traduit par de réels engagements.
Aussi, les projets de préservation des ressources se multiplient dans toute la Suisse. Dans le canton du Jura, un projet dénommé SolAirEau a été lancé en 2013. Durant six ans, les agriculteurs ont pu expérimenter différentes techniques pour s’en convaincre. Souvent confirmées par la recherche mais insuffisamment répandues dans la pratique, ces mesures ont bénéficié du soutien de l’Office fédéral de l’agriculture.
Promotion des bonnes pratiques
Lors de la dernière année du programme, 128 agriculteurs (13% des exploitations jurassiennes) ont choisi parmi différentes possibilités les mesures permettant de préserver l’air, le sol et l’eau. Voici quelques exemples…
Les cultures associées avec légumineuses, par exemple pois-orge ou féverole-avoine, permettent de réduire l’érosion, dont les conséquences sont la perte de sol et de fertilité. Les cultures associées profitent ainsi à la vie du sol, tout en améliorant sa couverture pour réduire le recours aux herbicides. De plus, en captant l’azote de l’air, les légumineuses limitent les besoins de fertilisation. Intéressantes sur le plan technique, les cultures associées posent néanmoins certains défis au niveau de la concurrence des mauvaises herbes et du triage qui renchérit sensiblement les coûts avec des taxes de réception doublées.
Pour leur part, les cultures intercalaires, c’est-à-dire implantées entre deux rangs, protègent également contre l’érosion. Leur mise en place enrichit le sol en matière organique, tout en limitant le lessivage de l’azote et en concurrençant les mauvaises herbes.
Autre mesure encouragée: le compostage du fumier. Mis en tas et retourné mécaniquement, il offre l’avantage de neutraliser les graines de mauvaises herbes. La protection des eaux en profite également par la limitation du lessivage de l’azote alors que l’enrichissement en matière organique améliore la fertilité des sols. Les coûts de compostage sont par ailleurs contrebalancés par des volumes moins importants à épandre.
Si la plupart des mesures testées sont probantes sans avoir non plus que des avantages, d’autres sont moins évidentes quant à leurs effets. Ainsi, le renoncement aux herbicides n’est pas simple à gérer, surtout en présence de plantes vivaces qu’il est difficile de combattre. Mais la mécanisation offre des alternatives toujours plus efficaces aux herbicides. En ce sens, les pratiques répandues en bio deviennent également utilisées en production conventionnelle lorsque les conditions s’y prêtent.
Techniques culturales innovantes
SolAirEau a également encouragé la mise en place de colza avec un couvert associé. Ce dernier gèle durant l’hiver pour laisser ensuite le colza se développer. Cette combinaison couvre le sol en concurrençant les mauvaises herbes, permettant ainsi de réduire le recours aux herbicides. La fixation de l’azote de l’air par les légumineuses associées représente également un avantage. Comme toute méthode, cette technique n’est pas miraculeuse et présente également ses faiblesses. Il faut donc réunir différentes conditions pour réussir l’implantation et garantir la pression sur les mauvaises herbes.
Des solutions techniques confirmées
SolAirEau a incité les agriculteurs jurassiens à équiper leurs véhicules de pneumatiques basse pression. L’évolution des pneumatiques permet en effet de diminuer les risques de compaction qui menacent directement la fertilité des sols. Certaines exploitations ont opté pour des systèmes de régulation de la pression des pneus, plus accrue sur la route afin de diminuer la consommation de carburant et l’usure des pneus, mais moindre dans les champs pour limiter la compaction du sol.
Des contributions ont également incité à couvrir les fosses à lisier dans l’objectif de diminuer les dégagements d’ammoniac dans l’air.
Pérenniser les mesures
Terminé en août 2018, SolAirEau a amené de nouvelles pistes aux exploitants. Le programme a démontré que les incitations valent bien mieux que toutes formes de contraintes. Les expériences réalisées sont pour la plupart concluantes mais le succès des mesures dépend de différentes conditions. Quoi qu’il en soit, l’amélioration des pratiques, par la connaissance du terrain et la maîtrise des nouvelles techniques, permettra de pérenniser les mesures pour, in fine, préserver les ressources essentielles à une production durable.
Pour la profession, l’accompagnement des agriculteurs doit se poursuivre dans la dynamique insufflée depuis deux décennies. Et non pas dans la confrontation au travers d’initiatives et solutions extrêmes qui généreront davantage de problèmes qu’elles n’entendent en résoudre.