Betteraves et néonicotinoïdes: quels problèmes réels?

Betteraves et néonicotinoïdes: quels problèmes réels?

En raison de la situation désastreuse des betteraves, la filière sucrière réclame le retour des néonicotinoïdes pour une durée provisoire. Quels sont les risques pour les abeilles, quand on sait qu’il n’y a pas de fleurs dans cette culture?

Partout en Suisse romande, la betterave sucrière jaunit à vue d’œil. Victime de pucerons vecteurs d’un virus provoquant le jaunissement du feuillage. C’est spectaculaire et la conséquence n’est pas que visuelle: sous terre, les racines peinent à se développer et, à l’arrivée, leur taille est bien plus petite qu’à l’habituelle, ce qui entraîne des pertes de rendements allant de 30 à 50%.

La maladie n’est pas nouvelle. Mais si elle ressurgit, aujourd’hui, c’est suite à l’interdiction d’utiliser des néonicotinoïdes en Suisse. «Cette décision a été prise à trop court terme: en avril 2018 pour être effective en janvier 2019, explique Basile Cornamusaz, conseiller technique au Centre betteravier suisse. Nous sommes évidemment tous conscients des problèmes engendrés par cet insecticide et d’accord qu’il faut aller vers sa suppression. Mais il faudrait nous laisser le temps de nous retourner, car pour l’instant, nous n’avons pas d’alternative pour lutter contre la jaunisse. Toute proportion gardée, c’est comme si on avait demandé à l’industrie de sortir du nucléaire en trois ans, et non pas en plus de 30 ans, comme prévu par le calendrier.»

Demande déposée auprès de l’OFAG

«Le cas échéant, on serait obligé d’acheter la totalité de notre sucre à l’étranger, sans aucun contrôle sur la production.»

Basile Cornamusaz, conseiller technique au Centre betteravier suisse

Concrètement, la filière betteravière demande aux politiques une ré-autorisation provisoire de 3 ans pour pouvoir à nouveau utiliser des semences traitées au Gaucho, un insecticide de la famille des néonicotinoïdes. Elle a été déposée auprès de l’Office fédéral de l’Agriculture (OFAG), début septembre. «Nous espérons recevoir une réponse d’ici à mi-novembre; ce sera le dernier moment pour permettre aux sélectionneurs de préparer les semences avec ou sans enrobage aux néonicotinoïdes et pour permettre aux agriculteurs de décider ce qu’ils vont produire l’année prochaine.» En cas de réponse négative, nombre d’entre eux pourraient renoncer à cultiver la betterave, ce qui risquerait d’entraîner la fermeture d’une, voire à terme des deux sucreries de Suisse. «Le cas échéant, on serait obligé d’acheter la totalité de notre sucre à l’étranger, sans aucun contrôle sur la production», assure Basile Cornamusaz.

La betterave ne fleurit pas

Maintenant, si le Conseil fédéral accorde une dérogation, quelles seront ses implications pour l’environnement? Dans le cas de la betterave, les néonicotinoïdes sont utilisés directement sur la semence sous forme d’enrobage. «Cela permet au produit d’agir de manière ciblée sur la plante et de la protéger dès qu’elle germe sans qu’il n’y ait besoin d’autres traitements, poursuit le spécialiste. Pour nous, quand ce procédé est apparu, ça a été une petite révolution. À l’époque, on avait besoin de 20 kilos de micro-granules d’insecticides à l’hectare. Avec les néonicotinoïdes, on est passé à 90 grammes par hectare.»

Cette technique a toutefois un inconvénient majeur: elle agrémente les fleurs et leurs pollens du néonicotinoïde concerné. Ce qui peut intoxiquer les abeilles et autres insectes butineurs. Toutefois, dans le cas de la betterave, ce n’est pas un problème direct, puisque la plante ne fleurit pas.

Suivi par des céréales

Cependant, des traces de substances actives restent présentes dans le sol. Mais à quelle quantité? Et durant combien de temps? Impossible d’avancer des chiffres absolus. Tout dépend… Différents facteurs entrent en ligne de compte telles que la température extérieure ou la qualité du terrain. Mais, en moyenne, en se basant sur des études de laboratoire, on observe que la toxicité diminue de moitié tous les 150 jours. Autrement dit, si l’on applique 50 grammes de substances actives dans un champ de betteraves semé au mois d’avril, on en retrouvera 25 grammes au moment de la récolte d’octobre. Si derrière, on plante du blé, il n’y en aura alors plus que 12,5 grammes lors de la moisson. Ainsi de suite… Suffisant, pour nuire aux butineurs? Certains défenseurs de la nature assurent que des micros-traces suffisent pour les détruire, mais les études scientifiques se contredisent et aucune ne peut affirmer de manière absolue qu’elles peuvent conduire à la mort des abeilles.

«De manière naturelle, nous mettons rarement en place des cultures fleuries tels que du colza ou du tournesol après une betterave. La culture se prêtant le mieux étant une céréale, explique Basile Cornamusaz. Nous imposer légalement un tel tournus, pourrait être une des conditions à la réintroduction provisoire des néocotinoïdes. Pour nous, cela serait totalement supportable, vu que dans la pratique, nous le faisons déjà

Feu vert en France

«J’essaie de ne pas tomber dans le blanc ou noir. Quand on doit décider si on garde ou pas une filière, il faut l’anticiper. Or jusqu’à peu de temps, on pensait qu’il y avait des alternatives; on se rend compte qu’elles ne fonctionnent pas.»

Barbara Pompili, ministre de la Transition écologique en France

Ailleurs, en Europe, où les néonicotinoïdes avaient également été interdits, de nombreux pays ont déjà accepté leur réintroduction provisoire. La France vient d’en faire ainsi pour une durée de trois ans. Et Barbara Pompili, la ministre de la Transition écologique qui les avait fait supprimer, assure «assumer complètement» cette réintroduction temporaire des néonicotinoïdes à laquelle l’Assemblée nationale a donné son feu vert. «J’essaie de ne pas tomber dans le blanc ou noir. Quand on doit décider si on garde ou pas une filière, il faut l’anticiper. Or jusqu’à peu de temps, on pensait qu’il y avait des alternatives; on se rend compte qu’elles ne fonctionnent pas. Et donc sur cette petite partie d’utilisation des néonicotinoïdes, on fait une exception qui va durer très peu de temps, trois ans maximum, et après ça sera terminé.»

En Suisse, la filière betteravière espère que la Confédération optera pour le même raisonnement. Ce qui, comme le souligne Stéphane Teuscher, directeur de Proconseil à Prométerre: «permettrait de souffler un peu et de d’avancer dans la recherche de variétés de betteraves résistantes à la jaunisse, tout en sachant que c’est un travail de très longue haleine

Article paru sur agirinfo.com (Pascale Bieri/AGIR).

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