Par Michel Darbellay
Directeur d’AgriJura,
Chambre jurassienne d’agriculture
À l’heure où l’on se badigeonne les mains avec des désinfectants, ou l’on use de nettoyants ménagers biocides à tout va, où les images TV nous montrent des pulvérisateurs agricoles mobilisés pour nettoyer les places publiques de certains de nos pays voisins, on se dit que tous les moyens sont bons pour vaincre le coronavirus. C’est vrai. Cette crise et cette lutte de tous les instants devraient permettre au consommateur de mieux comprendre ce contre quoi les agriculteurs doivent se battre la belle saison venue: les maladies et les ravageurs des cultures.
Sécuriser l’approvisionnement
La crise sanitaire du coronavirus montre à quel point l’approvisionnement indigène est essentiel dans de nombreux domaines dont l’alimentation en premier lieu. Maîtriser notre approvisionnement permet ainsi de garantir la traçabilité et le respect des normes de production, qu’elles soient environnementales ou sociales.
Mais comme les humains, les plantes ont aussi leurs maladies. Il suffirait que chacun cultive un bout de jardin pour se rendre compte des dommages que peuvent provoquer maladies et ravageurs. Mildiou, septoriose, méligèthes, oïdium, fusariose, moniliose: ces mots ne vous disent peut-être rien. Et pourtant, ces quelques exemples de nuisances phytosanitaires sont capables de mettre en péril tout ou partie des récoltes. Intervenir lorsque la maladie ou les ravageurs des cultures sont omniprésents est souvent déjà bien trop tard.
Les lacunes de protection des plantes peuvent coûter cher. Non seulement la marge, déjà faible, peut rapidement se volatiliser mais une forte baisse de rendements ou des déclassements en raison d’une qualité insuffisante engendrent des pertes considérables.
Il suffirait que chacun cultive un bout de jardin pour se rendre compte des dégâts que peuvent provoquer maladies et ravageurs.
Les traitements en dernier recours
Le but d’une lutte phytosanitaire intégrée est d’abord de prendre des mesures préventives, de choisir des variétés résistantes, de contribuer au bon fonctionnement des écosystèmes. L’enjeu est d’assurer les rendements, nécessaires à l’approvisionnement indigène, mais également la qualité des produits attendue par les consommateurs, que ce soit au niveau de la qualité intrinsèque, de la conservation ou encore de l’esthétique.
L’agriculteur recourt par conséquent aux traitements phytosanitaires, aussi peu que possible mais autant que nécessaire. Les pesticides – terme souvent utilisé de manière anxiogène – sont alors utilisés de manière ciblée, professionnelle et raisonnée. L’agriculture bio n’échappe d’ailleurs pas non plus aux traitements, notamment pour les fruits, les légumes et les pommes de terre, mais ne peut en revanche utiliser des produits de synthèse.
Tester de nouvelles voies
La recherche s’efforce d’apporter des réponses à la réduction souhaitée des produits de traitements, par des variétés plus résistantes. Mais encore faut-il lui en donner les moyens!
Les bonnes pratiques, pour leur part, se multiplient dans le terrain. Les sols restent moins souvent nus mais des couvertures d’engrais verts ou des sous-semis prennent le relais entre deux cultures principales. Cela permet de séquestrer le carbone de l’air, de favoriser la structure des sols, de valoriser les éléments nutritifs pour la culture suivante mais aussi de faire écran aux mauvaises herbes.
Pour les agriculteurs, il existe également des possibilités de s’essayer à de nouvelles pratiques et de prendre des risques maîtrisés. Dans ce sens, la politique agricole fédérale soutient des programmes limitant le recours aux produits phytosanitaires comme la réduction ou le renoncement aux insecticides, fongicides et herbicides. Certains labels rétribuent également de telles démarches sous réserve de possibilités d’écoulement et d’une demande suffisante de la part des consommateurs. Ces aides permettent ainsi aux producteurs de limiter la casse financière si l’expérience échoue.
Mais alors, pourquoi ne pas tous y souscrire ?
Premièrement, la demande du marché détermine les possibilités d’écoulement. Et deuxièmement, la pression des maladies et ravageurs dépend des conditions du sol et de la météo. Cette pression peut fortement différer d’une année mais aussi d’une région à l’autre. Dans pareils cas, ce n’est pas seulement la situation des agriculteurs qui est impactée mais aussi l’approvisionnement de la population qui se voit menacé. Ces conditions peuvent même forcer des agriculteurs à devoir traiter alors qu’ils ne le prévoyaient pas au départ.
Vous l’aurez compris, la thématique est complexe et ne peut se satisfaire de solutions simplistes. Mais s’il ne fallait retenir qu’une seule chose, c’est en définitive que le consommateur a les cartes en main: en optant, lors de ses achats, pour les modes de production qu’il souhaite, en y mettant le prix et en privilégiant la provenance suisse.